Le chocolat entre dans l’ère industrielle : de la boisson élitiste à la tablette populaire
Avec le 18ème siècle, le chocolat sort peu à peu de l’ère artisanale. En 1735, Linné nomme le cacaoyer » met des dieux « .
Sa consommation augmente mais la production stagne. Les ouvriers des chocolateries ont un faible rendement puisqu’ils travaillent à genoux pour écraser les fèves, selon le procédé traditionnel hérité des Aztèques.
Il s’ensuit des contrefaçons car des colporteurs vendent de la pâte d’amende avec des résidus de cacao qu’ils font passer pour du chocolat. Savary écrit en 1740 que Paris est la place où se confectionne le plus mauvais chocolat.
En 1732, Dubuisson invente une table haute et horizontale, chauffée au charbon de bois qui permet à l’ouvrier de travailler debout et d’augmenter son rendement. En 1778, Doret invente à Paris une machine hydraulique pour concasser les graines.
Le chocolat reste dans la France du 18ème siècle l’apanage d’une minorité de nobles et de riches bourgeois.
» Boisson substantielle mais qui ne pèse pas sur l’estomac, elle est sirotée dans les cafés et dans les salons, à la cour et dans les cercles privés. Sous forme de graine ou de bonbon, mélangé à des écorces d’oranges et à des fruits confits, le chocolat se doit d’être dans cette petite boîte précieuse, la bonbonnière qui semble indispensable à la vie mondaine : on le croque, on le goûte, on le suce, on l’offre en jouant aux cartes, en conversant courtoisement, en se promenant en carrosse, en assistant à un spectacle. »
Les favorites de Louis XIV, la Pompadour et la Du Barry usent du chocolat pour des raisons différentes : la première pour » s’échauffer le sang » puisque le roi la juge » froide comme une macreuse « , la seconde pour en offrir à ses amants et les mettre au diapason de son ardent tempérament puisqu’on la dit insatiable.
En ces temps de libertinage érigés en art de vivre, les propriétés aphrodisiaques du chocolat sont portées en exergue. L’univers du Marquis de Sade en est rempli.
En 1770, Marie-Antoinette se marie à Louis XVI et vient d’Autriche avec son chocolatier personnel. Elle préfère le chocolat préparé simplement, avec du sucre et de la vanille.
Elle crée la fonction de » chocolatier de la reine » qui est très convoitée puisqu’on dit que c’est » un fief bien plus lucratif que maintes baronnies fièrement armoriées et gironnées « .
Son chocolatier lui invente des nouvelles recettes : chocolat au bulbe d’orchidée pour fortifier, à la fleur d’oranger pour les nerfs, au lait d’amandes douces pour digérer.
A Paris, les meilleurs chocolatiers sont David Chaillon, les frères Rere et Renaud.
Peu à peu, la concurrence et les techniques commerciales de vente s’organisent : on voit de la publicité dans les journaux, des affiches.
En 1776, Roussel appose même son nom sur ses productions chocolatières.
La diffusion du chocolat dans les pays germaniques est liée au médecin de Frédéric-Guillaume 1er, le hollandais Cornelius Bontekoe qui en vante les propriétés thérapeutiques.
En Amérique du nord, un apothicaire de Boston met en vente du chocolat en 1712.
Comme en Allemagne, le chocolat n’est pour l’heure envisagé de l’autre côté de l’Atlantique que comme un produit médicinal.
En 1755, la flotte du Botany Bay commerce directement avec les Antilles pour éviter d’avoir à traverser l’Atlantique : les prix baissent, les délais raccourcissent.
En 1765, James Baker construit la première entreprise de cacao.
Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir se développer sa production et son usage se répandre. Les premières manufactures dignes de ce nom se développent, grâce à l’énergie hydraulique, permettant une mécanisation de la production. Elles essaiment un peu partout, à Bayonne, en Espagne, et surtout en Angleterre où l’entrepreneur Joseph Fry lance vers 1760 la première broyeuse hydraulique pour fèves de cacao, permettant de diminuer les coûts de production – à cette époque, une livre de chocolat représente les revenus d’une semaine de travail d’un laboureur.
Le transport du cacao entre la France et l’Amérique du Sud était assuré par de grands voiliers. Le Belem, célèbre Trois-Mâts fût gréé et armé en 1896 pour transporter des fèves de cacao entre le Brésil et la France pour le compte d’un grand chocolatier, l’entreprise Menier.